Des banques, du carburant bon marché et…de la littérature?

Oubliez les clichés et découvrez un autre visage du Luxembourg en feuilletant un des premiers magazines littéraires du petit Grand-Duché : Floréal – revue libre d’art [et] de littérature / Freie Rundschau für Kunst & Literatur

par Yorick Schmit, conservateur, département Luxemburgensia,
Bibliothèque nationale du Luxembourg

Tout commence par le rêve de trois jeunes auteurs luxembourgeois : Au début du XXe siècle Marcel Noppeney, Frantz Clément et Eugène Forman veulent promouvoir et développer une littérature avant-gardiste qui entre en dialogue avec la scène littéraire internationale tout en conservant l’identité culturelle unique du Luxembourg. A cette fin, ils publient en avril 1907 le premier numéro du magazine mensuel Floréal, nommé d’après le huitième mois du calendrier républicain français.

Les fondateurs du Floréal estiment que la culture luxembourgeoise se caractérise par un amalgame d’influences romanes et germaniques :  Notre patrimoine linguistique et littéraire unit indissolublement et indistinctement le français et allemand. Cette conviction les met en opposition avec la littérature patriotique en langue luxembourgeoise qui s’est développée dans la deuxième moitié du XIXe siècle autour des auteurs comme Michel Rodange, Michel Lentz et Edmond de la Fontaine.

La philosophie interculturelle du Floréal se reflète également dans le choix des textes publiés dans le magazine : la moitié des textes est en langue allemande, l’autre en langue française. On y retrouve des poèmes, des nouvelles, des fragments de romans et des critiques et études littéraires par des auteurs luxembourgeois. Au-delà de la promotion de la littérature nationale, la rédaction du Floréal a aussi une vocation pédagogique et éducative. Elle fait connaître au public luxembourgeois des auteurs de renommée comme Joris-Karl Huysmans, Paul Verlaine, Alfred Jarry ou encore Johannes Schlaf. Ce dernier est aussi l’un des contributeurs étrangers qui participent au projet Floréal avec des articles.

Malheureusement, le rêve de nos trois jeunes auteurs ne dure qu’une année. Après douze numéros et un total de 904 pages, l’aventure littéraire Floréal prend une brusque fin en avril 1908. Les motifs derrière l’arrêt de publication ne sont pas clairs. On cite des désaccords entre les éditeurs, des confrontations entre un camp francophone et un camp germanophone ou encore un lectorat trop petit et un prix trop élevé : Il nous a fallu lutter contre les préjugés, contre la mesquinerie ambiante, contre la petitesse d’esprit des uns, le dédain affecté des autres… contre tout cela qui caractérise le petit pays et la petite ville.

Malgré la courte durée de publication Floréal a indéniablement laissé une marque durable sur la scène littéraire luxembourgeoise. Le magazine a donné une voix à toute une génération d’auteurs luxembourgeois. D’une manière plus générale, Floréal a contribué à l’ouverture du microcosme luxembourgeois aux tendances modernistes et avant-gardistes qui ont bousculé les traditions littéraires au début du XXe siècle. Dans un certain sens, les répercussions se font encore ressentir aujourd’hui.  Moins de vingt ans après la publication du dernier numéro, le jeune Nicolas Ries se lance dans la publication de ses Cahiers luxembourgeois, un projet ambitieux avec des buts similaires à Floréal : le début d’une aventure littéraire qui – de génération en génération –  dure jusqu’à aujourd’hui…

Sources :

Goetzinger, Germaine : « Floréal – eine Fallstudie zur literarischen Öffentlichkeit in Luxemburg », dans Clierwer Literaturdeeg 1985 – D’Texter – Les Exposés – Die Referate, p. 56-64.

Kestner, Michel : « Floreal », Doppelpunkt – N°1 (1968), p. 19-22.